Histoire du temps présentJuillet 1944: En attendant la bascule

Histoire du temps présent / Juillet 1944: En attendant la bascule
Le Chef de la VdB, Damien Kratzenberg (au milieu, portant costume noir et lunettes), entouré d'Ortsgruppenleiter. Le deuxième à sa droite, Alfons Peffer, proclamait encore sa fidélité à son Führer en juillet 1944. Source: Archives nationales de Luxembourg (date et photographe inconnus)

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En juillet 1944, il y a exactement 80 ans, la nervosité était à son comble dans le Luxembourg sous administration nazie. Si les offensives alliées permettaient plus que jamais d’espérer un effondrement du Reich, celui-ci n’avait toujours pas eu lieu. Tandis que le dernier carré de collaborateurs faisait fi de croire en un possible retournement de situation, les réfractaires se préparaient eux à enfin sortir de leurs cachettes et à régler leurs comptes.

La lecture des unes de l’Escher Tageblatt, journal alors contrôlé par l’administration civile allemande au Luxembourg, donne l’impression qu’en juillet 1944 les Allemands contrôlaient encore la situation. Que ce soit en Normandie, où Britanniques et Américains avaient débarqué le 6 juin 1944, ou en Biélorussie, où l’Armée rouge était passée à l’offensive le 22 juin 1944, ils semblaient tenir leurs positions – ou du moins reculer en bon ordre. „Durchbruchversuche der Sowjets erneut gescheitert“, titrait le quotidien eschois le 15 juillet;  „Riesenverluste, aber keine Fortschritte. Alliierte Kriegskorrespondenten über die Kämpfe in der Normandie“, le 16 juillet; „Briten und Amerikaner müssen bereits umdisponieren“ et „Deutsche Abwehrerfolge im Osten“, le 17.

Les plus fanatiques des Luxembourgeois qui avaient opté pour le régime nazi, ou ceux qui s’étaient trop compromis pour faire volte-face, pouvaient toujours s’accrocher à la propagande du régime.

„Mir selbst geht es ausgezeichnet“, écrivait ainsi Nicolas K., un volontaire luxembourgeois de la Waffen-SS, le 5 juillet 1944 depuis le front de l’Est: „Unsere Division hat in den letzten Wochen im rumänischen Raum etwas Ruhe gehabt und ist heute stärker denn je. Wir sehen den Dingen, die da kommen, mit unerschütterlicher Ruhe entgegen. Wenn es jedem so klar wäre, wie uns, dass alle Brücken hinter uns abgebrochen sind, dann würde viel weniger unnütz gequatscht und geredet werden. Lieber soll doch ganz Europa in Scherben gehen, als dass wir auch nur eine Sekunde daran dächten, schlapp zu machen. In dieser Gewissheit genießen wir jede schöne Stunde, die uns gegeben wird und wenn es drauf ankommt, dann schlagen wir uns auch wieder auf Teufel komm’ heraus.“1)

L’attentat raté contre Hitler, le 20 juillet 1944, provoqua lui aussi un sursaut parmi les partisans du régime nazi. Le fait que leur Führer ait survécu était pour eux un signe du destin. Ils étaient dès lors plus que jamais décidés à le suivre jusqu’au bout. Voilà en tout cas ce qu’écrivit Alphonse Peffer, ancien Ortsgruppenleiter de la Volksdeutsche Bewegung (VdB) de Schifflange et pro-allemand de la première heure au Kreisleiter d’Esch, Wilhelm Diehl: „Zu tiefst schmetterte uns der erste kurze Satz der gestrigen Rundfunkmeldung nieder: ‚Attentat auf den Führer’. Aber schon der zweite Satz der Meldung: ‚Der Führer unverletzt’ riss uns jauchzend wieder himmelhoch empor. Sofort war uns allen klar: Das Schicksal hat uns den Führer nicht nur erhalten, es hat uns ihn zum zweiten Mal geschenkt. Was das für uns bedeutet, können wir nicht in Wörter fassen. Wir können nur aus tiefstem Herzen heraus Sie unseres unerschütterlichen Glaubens an den Führer, unserer unwandelbaren Treue und unserer verstärkten Kampf- und Einsatzbereitschaft versichern. Mit noch größerer und verbissener Entschlossenheit stehen wir alle hinter unserer Führung. Unsere Parole für die Zukunft soll sein: Nun erst recht! Mit Ihnen, Kreisleiter, mit unserer Führung durch dick und dünn. Heil dem Führer!“2)

Cacher et nourrir 2.000 réfractaires

Les réfractaires et déserteurs étaient, eux aussi, dans l’incertitude, mais pour d’autres raisons. S’ils avaient de bonnes raisons d’espérer une victoire alliée, celle-ci tardait cependant à se matérialiser. Ils devaient donc prendre leur mal en patience. Près de 2.000 d’entre eux étaient alors cachés au Luxembourg. Si beaucoup avaient été recueillis individuellement ou par petits groupes, il existait aussi des refuges plus importants, mis sur pied par les organisations de résistance, avec le soutien de la population locale.

Dans la petite localité de Kaundorf, près d’Esch-sur-Sûre, 38 réfractaires, deux aviateurs américains et trois prisonniers de guerre français étaient cachés, soit chez l’habitant, soit dans l’une des cinq cachettes souterraines que la Lëtzebuerger Volléks-Legio’n (LVL) avait aménagé dans les environs. Mais le plus grand abri clandestin se trouvait dans une mine désaffectée, dissimulée au fonds des bois surplombant Niedercorn. Aménagé à partir de février 1944 par le Lëtzebuerger Ro’de Le’w (LRL), ce Bunker Hondsbësch pouvait accueillir jusqu’à 122 réfractaires.3)

Si cacher ces centaines de jeunes gens sur le territoire exigu du Grand-Duché était déjà en soi une performance, les nourrir chaque jour alors que la nourriture était rationnée et sa distribution sévèrement contrôlée par les autorités en était une autre. Il fallut pour cela mobiliser toutes les anciennes structures de solidarité – villageoises à Kaundorf, où des cochons et des veaux étaient abattus clandestinement pour nourrir les „Jongen“; syndicales dans le Bassin minier, où la Maison du peuple d’Esch-sur-Alzette servait de plaque-tournante. Gérée par l’Union luxembourgeoise des fédérations syndicales (ULFS), organisation clandestine animée par des syndicalistes d’avant-guerre, elle communiquait directement avec des dépôts où étaient entreposés les vivres et les vêtements destinés aux jeunes gens dissimulés.4)

Un sérieux avertissement

Certains des jeunes gens pris en charge par les mouvements de résistance et la population se cachaient depuis le printemps 1943. Vivant dans la peur constante d’être arrêtés ou d’exposer leurs familles à des représailles de la part des autorités d’occupation. S’ils en voulaient aux Allemands, ils détestaient plus encore ceux de leurs compatriotes qui s’étaient mis au service du régime nazi et qui dans les mois écoulés l’avaient aidé à identifier les réfractaires et ceux qui les aidaient, lui avaient désigné les familles à punir, avaient participé aux razzias armées visant à détruire les cachettes. Ils étaient d’autant plus déterminés à se venger que beaucoup d’entre eux savaient se battre et avaient déserté avec leur arme de service.

Le 22 juillet 1944, l’un d’entre eux abattit Alphonse Kalmes, l’Ortsgruppenleiter de Junglinster, alors que celui-ci travaillait dans son champ.5) La résistance luxembourgeoise n’était pas en train de se muer en résistance armée. Les dirigeants des mouvements firent leur possible pour l’empêcher, jugeant qu’il était irresponsable de passer à un stade de violence supérieure, au risque de représailles sanglantes, alors que la défaite de l’Allemagne ne semblait plus être qu’une question de temps. Mais l’assassinat de Kalmes montrait que le recours aux armes n’était pas entièrement exclu. Les Allemands en étaient désormais conscients et leurs auxiliaires luxembourgeois plus encore.

1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Affaires politiques (AP) K21 (Luxbg.), lettre de Karl K. à Nikolas M. du 5 juillet 1944.

2) ANLux AP P40 (Luxbg.), lettre d’Alphonse P. au Kreisleiter d’Esch du 21 juillet 1944.

3) ANLux, Fonds documentation historique Deuxième Guerre mondiale (DH II GM) 64.

4) Voir: ANLux DHIIGM 67, Récit sur l’ULFS.

5) ANLux AP SP 515, rapport d’enquête du 6 juin 1946.