Interview avec Katy de Jesus„La culture DJ au Luxembourg est inexistante“

Interview avec Katy de Jesus / „La culture DJ au Luxembourg est inexistante“
Katy de Jesus Photo: Sophia Emmerich

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Luxembourgeoise de naissance, Katy de Jesus vit depuis huit ans à Berlin, autrement dit dans la capitale mondiale de l’électro. Et cela tombe à pic: elle est DJ. Ce samedi, Katy revient dans son pays natal, au „De Gudde Wëllen“, pour un set qui s’annonce brûlant. L’été peut alors commencer. Interview.

Est-ce que vous voyez un lien entre vos origines portugaises et l’électro?

Mon père est arrivé au Luxembourg à l’âge de six ans; ma mère, à quatorze. Moi, je suis née et j’ai grandi au Luxembourg. Mais mes grands-parents vivaient au Portugal alors c’était toujours un grand événement annuel quand on y allait pour les vacances. Cette culture m’a marquée, c’est certain: à la maison on parlait portugais; dans la voiture on écoutait de la musique portugaise. En vieillissant, surtout pour les immigrants, on a besoin de se reconnecter à ses racines; je me sens, en tout cas, plus proche du Portugal que lorsque j’étais plus jeune. A chaque fois que je vais voir un fado, je pleure, je rigole. Si ça fait partie de mon éducation, ça ne s’entend pas directement dans la musique que je joue, mais on pourra reconnaître des rythmes. Et puis il y a des disques avec une tonalité latino qui m’attirent. C’est en moi.

Selon vous, est-ce qu’il existe une culture DJ au Luxembourg?

La culture DJ au Luxembourg est inexistante, dans la mesure où la culture clubbing l’est. D’autant plus que ce que je fais, ce n’est pas du tout mainstream; j’évolue dans l’underground. Il y a des clubs où aller, comme le Lenox, mais c’est un monde duquel je me distancie, du moins dans lequel je ne m’identifie pas; nous sommes bien trop loin de la house originelle, qui est celle que j’aime. Je suis partie du Luxembourg, car j’y ai trouvé, avec le temps, des limites: avec des amis on peut sortir et s’amuser, bien sûr, mais je n’aurais pas pu évoluer en tant que DJ. Dans mon cercle proche, il y en a qui font des soirées cools, mais ce n’est pas officiel et ça reste occasionnel.

Vous avez votre collectif, hush.maison, qui fait le pont entre le Luxembourg et Berlin.

Avec le collectif hush, j’ai fait mon premier set au Luxembourg. On a organisé une fête off location, ce n’était pas dans un club, mais dans un ancien abattoir. Mes velléités sont plus larges, plus amples, plus culturelles, avec un sens plus profond et une dimension communautaire. Je ne veux pas être dépendante d’un Etat qui me demande de stopper mon set à 3 h du matin. A Berlin, où je vis depuis huit ans, il y a de quoi s’épanouir davantage.

Cette année d’ailleurs, la techno berlinoise a fait son entrée dans le patrimoine culturel de l’Unesco: qu’est-ce que cela vous inspire?

Ça me fait plaisir, mais ça ne m’étonne pas: la culture électronique a tellement de poids à Berlin, que c’est logique. Tellement de gens vivent pour cette culture ou ont un pied dedans. Un club comme le Berghain est très défendu ou protégé par l’Etat, déjà parce qu’il ramène beaucoup d’argent, et puis parce qu’il ne s’agit pas seulement de sortir et de faire la fête, c’est bien plus que ça, il y a des expositions, les arts se mélangent – c’est un monde. Ce genre de lieu reflète toute une culture, ainsi qu’une communauté.

Vous vous définissiez comme une „sonic collage artist“: on peut parler de collage physique puisque dans vos sets vous ne passez que du vinyle.

Oui, et ce n’est pas pour une raison puriste – tous les moyens sont bons pour s’exprimer – mais parce que ça me correspond. Les vinyles, c’est un tout autre rapport à la musique. Moi qui suis parfois tête en l’air, les vinyles me permettent de garder les pieds sur terre: je ne peux pas aller à un festival et ne pas faire attention à mon sac. Aussi, je dois nettoyer mes disques pleins de poussière. Et puis, par rapport à la musique que je joue, c’est le médium qui, naturellement, me fait me sentir authentique – c’est via les vinyles que les morceaux ont été diffusés à l’origine. Ça me fait plaisir et ça me fait bosser, il faut sans cesse réajuster, il n’y a pas d’automatisation. En plus, il y a un paquet de morceaux que je passe qui n’existent pas en digital. Il y a enfin une dimension très intime: c’est une collection qui vit avec moi. Quand je la joue, bien plus que des titres que j’aurais achetés la veille sur Internet, elle fait partie de mon identité.

Quand il s’agit de faire quelques gigs plus grand public, on voit que les rapports entre les hommes et les femmes sont plus archaïques. Il y a du respect, mais c’est … différent. La femme doit davantage faire ses preuves.

Katy de Jesus, DJ

L’électro est bien représentée par des artistes féminines, de Suzanne Ciani à Miss Kittin en passant par The Blessed Madonna ou Nina Kravitz, sans parler d’Ellen Allien qui, avec „Berlinette“ en 2003, s’est imposée comme la reine de l’électro berlinoise. Vous qui avez joué cette année, au Berghain, pour la Journée internationale des droits des femmes, quel regard portez-vous sur leur place et leur condition dans le milieu du clubbing?

C’est un sujet très complexe. Ce que je peux dire de positif, c’est qu’il y a une grosse évolution, plus de délicatesse et de prise de conscience sur ce sujet. Et les femmes sont bien sûres d’elles, elles sont fortes. Il y a, en retour, beaucoup de respect. Mais ça dépend des cercles. Dans l’underground, ça fait sens, vu que c’est ancré, historiquement, avec le monde queer. Si les grosses soirées house sont nées, c’est parce qu’une sous-culture, qui se sentait oppressée, a voulu créer des espaces de sécurité, où les gens pouvaient se laisser aller. Quand il s’agit de faire quelques gigs plus grand public, on voit que les rapports entre les hommes et les femmes sont plus archaïques. Il y a du respect, mais c’est … différent. La femme doit davantage faire ses preuves. Certains ne lui accordent pas, d’office, la valeur qu’elle mérite d’avoir, ou peuvent laisser supposer qu’elle aurait une incompétence technique. Mais j’ai de la chance, je ne travaille pas avec des gens qui sont dans cet état d’esprit. Beaucoup de mes amis garçons sont féministes. Aussi, la majorité sait que je suis gay, alors l’approche des hommes est différente. Et ça m’arrange.

On parle de la Katy DJ, mais qu’en est-il de la Katy productrice: avez-vous l’intention de publier vos propres compositions?

Je n’étais, jusqu’ici, pas prête mentalement; c’est comme si je ressentais une certaine nervosité à l’idée de commencer. Il est très rare que j’apprécie un DJ et ses productions; soit j’adore la personne quand je vais la voir en tant que DJ, mais je n’aime pas ses productions, soit c’est l’inverse. C’est la preuve que ce sont deux mondes à part. Et que tout le monde n’est pas fait pour les deux. Pour moi, tu es soit producteur, soit DJ. C’est comme ça que j’ai vu les choses, et que je continue de les voir, mais j’ai aussi envie de voir ce que ça donne si je me lance dans la production. Après, il faut avoir du temps pour s’y mettre. On va voir comment ça va évoluer. Je ne sais pas, peut-être que je vais faire du kuduro. Non, je plaisante!