Législatives françaisesLe pari de Macron au péril des réalités électorales

Législatives françaises / Le pari de Macron au péril des réalités électorales
Le „Nouveau Front Populaire“ en campagne à Lyon Photo: Jeff Pachoud/AFP

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Après-demain dimanche, plus de 49 millions d’électeurs français sont appelés aux urnes pour désigner, dans un premier tour de scrutin, les 577 députés qui composeront la nouvelle Assemblée nationale.

Et cela trois semaines après la dissolution de la précédente, décrétée par le président Macron au vu des résultats d’élections européennes particulièrement défavorables, qui traduisaient une forte poussée du Rassemblement national. Les enquêtes d’opinion semblent toutes confirmer, à ce jour, que le chef de l’Etat s’est lancé là dans un pari qu’il risque fort de perdre.

Et d’abord parce que l’extrême droite, d’un sondage à l’autre, affiche une santé de fer, malgré – ou peut-être au contraire grâce à – un déluge d’appels à lui faire barrage coûte que coûte; tout particulièrement à gauche, bien sûr, mais pas seulement. Ses 31,4% de suffrages recueillis le 9 juin aux européennes se sont mués en quelque 36% d’intentions de vote pour les législatives de dimanche. Surtout après le ralliement d’une fraction, certes minime mais symboliquement significative, du parti LR, dont certains cadres ont ainsi abandonné et la tradition gaulliste, et la droite modérée, à l’initiative d’Éric Ciotti. Lequel se serait retrouvé, sans le soutien du RN, en difficulté dans sa circonscription de Nice.

Mais au-delà même de la confirmation de cette poussée en faveur du lepénisme et de ses candidats, on a pu observer ces tout derniers jours à quel point l’hypothèse d’une victoire du RN encore plus large que prévue – en clair, celle d’une majorité absolue de gouvernement au soir du second tour, le 7 juillet – s’installait dans le débat politique. Alors qu’elle n’y était tenue ces dernières années que comme une éventualité peut-être „possible après tout un jour“, mais tout de même bien peu vraisemblable dans l’immédiat. Or au moins deux instituts de sondages sérieux, après avoir tenté de laborieuses projections circonscription par circonscription, en arrivaient hier, avec circonspection certes, à ne plus pouvoir écarter une telle possibilité.

Jordan Bardella, le nouveau président du parti de Marine Le Pen, aura d’ailleurs joué sur ce terrain un jeu résolument politicien, au pire sens du terme, en alternant les déclarations rassurantes en direction des électeurs méfiants ou sceptiques, tendant à réduire parfois considérablement ses exigences programmatiques en cas de victoire, et, au contraire, les propos martiaux tendant à souligner qu’il s’agirait, s’il accédait ainsi à Matignon, d’une vraie rupture avec les politiques modérées qui ont pu être menées jusque-là. À telle enseigne qu’il refuse par avance de diriger un gouvernement de cohabitation si la victoire de son parti aux législatives ne lui assure pas une majorité parlementaire absolue.

Dans ce registre de la radicalité, il a reçu un renfort spectaculaire de Marine Le Pen. Celle-ci n’a pas hésité, en effet, à assurer que les prérogatives présidentielles – ce qu’on appelle souvent, et de manière d’ailleurs inappropriée sur le terrain constitutionnel, le „domaine réservé“ du chef de l’Etat, essentiellement la maîtrise de la diplomatie et de la défense – ne relevaient que d’un „titre honorifique“, le vrai pouvoir revenant, dans ce domaine, au gouvernement, „maître du budget“ (à travers, tout de même, a-t-elle omis de préciser, le vote des députés).

Quels désistements pour les „triangulaires“?

Cette dernière prise de position a soulevé une vive polémique. D’autant plus qu’à quelques détails près, les précédentes cohabitations – entre le président Mitterrand et Chirac (1986-1988) puis Balladur (1993-1995), enfin entre Chirac devenu président et Jospin (1997-2002) – se sont, s’agissant de la répartition des pouvoirs entre l’Elysée et Matignon, correctement déroulées. Alors même qu’il s’agissait de personnalités aux orientations politiques résolument divergentes.

Les propos de Mme Le Pen, qu’elle a ensuite tenté hier d’atténuer quelque peu, laissent en tout cas augurer d’une cohabitation éventuelle Macron/Bardella manquant pour le moins de souplesse et de respect mutuel, ce qui pourrait d’ailleurs ne pas être du goût de nombre d’électeurs de tous bords. Un blocage parlementaire des intentions présidentielles s’agissant de l’aide à l’Ukraine pourrait en tout cas susciter un très vif affrontement avec Emmanuel Macron.

Mais c’est déjà spéculer sur les résultats éventuels du second tour, alors que ceux du premier ne sont pas connus. Et que beaucoup de choses peuvent se passer entre ces deux rendez-vous majeurs avec les électeurs. Pour ce qui est de dimanche prochain, une des grandes questions est de savoir combien le RN obtiendra d’élus dès le premier tour; à l’état-major du parti, on considère qu’une quinzaine constituerait déjà un bel encouragement pour le second, tout en en espérant en secret davantage, compte tenu de la poussée actuelle selon les sondages.

Un autre développement possible peut venir modifier la donne, sur lequel compte bien, à gauche, le Nouveau Front Populaire, crédité d’environ 29% des intentions de vote: avec une participation électorale que l’on annonce en forte hausse, de l’ordre de 65% – un taux record pour ce type de scrutin depuis les années 1990, et que laisse aussi espérer le nombre des procurations, supérieur à deux millions, fournies par des électeurs empêchés de voter par les dates estivales choisies par le président Macron – les „triangulaires“ devraient être beaucoup plus nombreux que d’ordinaire au second tour.

La majorité sortante déboussolée

Pour y rester en compétition, il faut en effet avoir obtenu les suffrages d’au moins 12,5% des électeurs inscrits dans la circonscription. Donc plus les votants sont nombreux, plus une telle performance devient facile à atteindre. Ce qui signifie que les partis qui n’appartiennent ni à l’extrême droite, ni à la gauche conduite par Jean-Luc Mélenchon – en gros, les macronistes, les LR restés fidèles à leur ligne et quelques centristes, indépendants et dissidents, socialistes notamment – vont devoir choisir explicitement entre les deux extrêmes, là où leurs propres candidats n’ont aucune chance de l’emporter.

Or un certain nombre d’entre eux pourraient bien être tentés par un retrait au profit de la gauche, en tout cas lorsqu’elle est représentée par la branche „républicaine“ de la famille, pour contrecarrer les appétits électoraux de l’extrême droite. C’est notamment le cas de députés ayant soutenu le président Macron et ses gouvernements successifs, mais ne se faisant plus guère d’illusions sur l’avenir du macronisme, et n’imaginant pas pour autant, surtout pour ceux qui venaient du PS, tenter de se reconstruire une carrière dans de telles conditions.

La question divise d’ailleurs profondément le camp du chef de l’État, crédité d’à peine 20% des intentions de vote. M. Macron demande à ses troupes de ne pas se ranger derrière une position unique, mais plutôt d’analyser „au cas par cas“ les situations locales telles qu’elles apparaîtront au soir du premier tour, dimanche soir, avant de prendre quelque décision éventuelle de retrait que ce soit, ou d’appel à voter soit pour le RN, soit pour La France Insoumise. De quoi achever de déboussoler ce qu’il reste d’électeurs à la majorité relative sortante.

LFI, de son côté, aura fait l’objet d’un rejet de plus en plus ferme de la part de ses partenaires de gauche au fur et à mesure que se déroulait la campagne pour ce premier tour. Des partenaires qui avaient pourtant conclu avec une célérité remarquée un „programme commun de gouvernement“ avec les mélenchonistes. Dont le chef vient, il est vrai, de déclarer, entre deux proclamations sur son envie de siéger à Matignon en cas de victoire, qu’il était temps de faire taire toutes ces querelles intestines. Et que les problèmes internes à la coalition du Nouveau Front Populaire, y compris sur le calendrier, l’importance et le chiffrage des réformes prévues, devraient être réglés „après“.

Autrement dit lorsque les élections auront eu lieu: prudence tactique qui risque tout de même d’avoir laissé nombre d’électeurs de gauche sur leur faim. Il est vrai que, toutes étiquettes confondues pour le coup, ils risquent de ne pas être les seuls, dans ce scrutin législatif qui est pourtant sans doute un des plus importants de la Ve République, mais dont la campagne – pour le premier tour du moins – n’aura guère abordé les vraies questions.