Artistes entre Luxembourg et BerlinMeyers et Fügmann: „La couleur est un matériau“

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Meyers et Fügmann: „La couleur est un matériau“
Sarah Meyers et Laura Fügmann dans leur atelier Photo: Amélie Vrla

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Pleines d’énergie et d’idées, les artistes Sarah Meyers et Laura Fügmann mettent leurs créations au service du design expérimental pour emplir les foyers de couleurs. Dans leur studio berlinois, véritable laboratoire de recherche et d’expérimentation, elles célèbrent les ressources naturelles et locales, ainsi que le passage du temps sous toutes ses formes.

Il y a deux ans et demi, Sarah Meyers et Laura Fügmann ont déménagé leur studio berlinois du quartier de Neukölln à celui de Mitte. „C’est ici que la magie se produit. En particulier dans cette pièce, depuis laquelle on réalise nos projets. Nous y avons tous les outils. Et toutes nos couleurs.“ Les deux créatrices se sont rencontrées alors qu’elles commençaient leurs études de design à Berlin. Après un bref passage par Amsterdam pour leur master, Meyers et Fügmann décident de revenir dans la capitale allemande où elles fondent leur studio.

Très influencée par l’école du Bauhaus, Sarah Meyers, originaire du Luxembourg, était venue pour la première fois à Berlin à 17 ans, pour y voir la collection du MOMA que la Neue Nationalgalerie présentait alors dans ses murs, en 2004. „Je tenais absolument à voir cette expo. J’ai passé cinq jours ici et j’ai décidé que je voulais y habiter, car j’ai ressenti une liberté incomparable. À l’époque, j’avais des dreads, je m’habillais de façon très colorée, on me dévisageait souvent. Mais pas ici. La liberté d’expression à Berlin est tout autre qu’ailleurs.“ Pour Laura Fügmann, d’origine allemande, le lien avec la capitale se fait d’abord à travers des événements et rassemblements politiques auxquels elle se rend régulièrement. Puis, c’est le sentiment de liberté, mais surtout l’espace, qui la fait tomber amoureuse de la ville. „J’ai adoré l’énergie de Berlin, le fait qu’il y ait tant d’endroits à explorer, encore libres. Et puis ici, contrairement à Amsterdam qui était très dense, ou Londres, où Sarah a également habité un temps, il y a de l’espace, de l’air pour respirer.“

Un savoir-faire ancestral

Meyers et Fügmann se sont-elles donné comme mission d’emplir les foyers de couleurs pour permettre à L’Europe centrale de mieux survivre aux mois d’hiver sombres et froids? „Nous adorons la couleur et par conséquent, nous colorons les intérieurs avec nos créations, mais ce n’est pas le but premier“, répondent-elles. „L’une de nos missions en revanche est de réintroduire les teintures naturelles dans le métier, car depuis l’industrialisation, on ne se sert plus que de pigments synthétiques dans l’industrie du textile. Pourtant, l’humanité a toujours utilisé les plantes, et nous voulons retourner à ce savoir-faire.“ Le duo a ainsi créé une série de couvertures „Couleurs-sur-Sûre“, en collaboration avec la Duchfabrik du parc naturel Öewersauer d’Esch-sur-Sûre. Fabriquées en laine de brebis luxembourgeoise, les couvertures sont teintes de façon naturelle avec des plantes régionales, puis tissées à la Duchfabrik.

On peut se dire que le tissu nous accompagne, qu’il se modifie comme nous, et qu’il y a une beauté là-dedans. Au lieu de désirer un produit figé dans le temps, ou de constamment le remplacer par un neuf, on en célèbre l’évolution, et les différentes étapes, dont chacune recèle une beauté différente.

Sarah Meyers et Laura Fügmann, designers

Meyers et Fügmann se définissent avant tout comme des „designers expérimentales“. Leur but n’est pas de produire ou vendre à grande échelle, mais de prendre le temps d’expérimenter et de faire des recherches approfondies afin d’aboutir à des créations uniques, aux concepts forts et à la production soignée. Ainsi, la série de textiles nommés „Slow Patterns“ repose sur des tissus qui changent en fonction de leur exposition à la lumière. „C’est une façon de travailler avec le processus de vieillissement du tissu, d’honorer le fait qu’il se transforme au fur et à mesure. On peut se dire que le tissu nous accompagne, qu’il se modifie comme nous, et qu’il y a une beauté là-dedans. Au lieu de désirer un produit figé dans le temps, ou de constamment le remplacer par un neuf, on en célèbre l’évolution, et les différentes étapes, dont chacune recèle une beauté différente.“ Cependant, accepter le concept d’impermanence n’apparaît pas aisé pour notre société occidentale, qui a tendance au contraire à fermer les yeux face à la finalité des choses et de la vie. „On doit être prêt à se lier à ces tissus, c’est une forme d’engagement – qui semble difficile pour la majorité des gens. Alors que pour nous, l’idée d’acceptation du temps qui passe et de la transformation que le temps engendre est précisément ce qui nous semble poétique et philosophique. Car cela fait de la création, une création unique. Le tissu changera de façon différente en fonction du foyer, des habitudes de vie de la personne. On n’aura pas le même tissu chez quelqu’un qui vit au dernier étage ou au rez-de-chaussée, avec les rideaux tirés ou en recherche constante de lumière.“

Exposées à l’Ornamenta 2024

Dans la même mouvance, le projet „Intersolar“ de Meyers et Fügmann est en ce moment exposé aux côtés d’autres œuvres et installations dans le cadre d’Ornamenta, un projet culturel pour arts et design qui a lieu tous les cinq ans dans la région du nord de la Forêt Noire, en Allemagne. Pour cette installation, Meyers et Fügmann se sont alliées aux membres d’un café de couture organisé par le centre familial interculturel Au. Le duo luxembourgo-berlinois a offert aux femmes du centre culturel leurs tissus sensibles aux UV pour qu’ils leur servent de „toiles vierges“ sur lesquelles broder des motifs et histoires personnelles. Toutes ces œuvres ont pour thématique commune le soleil, et durant les trois mois que dure l’exposition, du 5 juillet au 29 septembre 2024, les tissus vont changer lentement en fonction de la lumière solaire. L’installation porte le joli nom de „Solartal, an exhibition on Tanning, Shades and Spirits“, mais Laura Fügmann n’associe pas intrinsèquement cette création à une forme de pratique spirituelle: „Je pense que nous sommes toutes deux très matérialistes. Nous nous intéressons avant tout au bien-être et à la façon dont les couleurs peuvent agir sur nous. La collaboration avec ce centre social interculturel et le fait de travailler avec ces femmes venues de tous les coins du monde a été très spécial pour nous. C’était une sorte de synergie. Mais le projet n’est pas spirituel en soi, à nos yeux. Le soleil en est le cœur, il nous donne une énergie vitale à tous, et c’est déjà magnifique de le célébrer de cette façon. Et puis l’exposition a comme but de réunir différentes cultures et religions à travers cette prière au soleil, de façon à trouver des terrains communs, pour que les gens puissent collaborer ensemble autour d’une même thématique.“

Si Meyers et Fügmann ne se définissent pas comme spirituelles per se, leur lien au concept de bien-être est une façon de prendre soin des âmes des personnes qui acquièrent ou participent à leurs créations. „Les broderies réalisées par les femmes du centre Au sur nos tissus ont un aspect méditatif, car la broderie, de même que la décoloration du tissu, prennent du temps“, ajoute Meyers. „Le tissu comprend ces différents rapports au temps. Et puis nous sommes très curieuses de voir la façon dont le tissu va changer, se développer.“ C’est Katharina Wahl, curatrice, qui a eu l’idée initiale de mettre le duo en contact avec les brodeuses issues de Turquie, du Sri Lanka, d’Ukraine, d’Inde ou encore du Pakistan. Puis, les tissus de Meyers et Fügmann ont été fabriqués localement, sur les métiers Jacquard de l’usine de tissage Zweigart & Sawitski, elle-même établie dans la région. „Ce travail en équipe a constitué une étape importante pour nous, explique Meyers. À mes yeux, le design est aussi une façon de garder le contrôle, mais pour ce projet-là, il fallait pouvoir lâcher prise, car les femmes qui brodaient tenaient à choisir seules les couleurs, le matériau et les motifs de leurs créations. Et finalement, on a vraiment apprécié le fait qu’elles fassent selon leur idée et désir, qu’elles soient les créatrices de leur propre histoire.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.