Passion livresMoi, président … Marc Dugain : l’amertume du mensonge

Passion livres / Moi, président … Marc Dugain : l’amertume du mensonge
Marc Dugain Photo: Samuel Kirszenbaum

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La France va mal. A sa tête, un (nouvel) homme providentiel venu (une fois encore) sauver le pays d’une présidence d’extrême droite et d’un régime populiste qui tend décidément les bras aux descendants des Lumières et de la Révolution française. Toute ressemblance avec des personnages ou des faits historiques existant ou ayant existé n’a strictement rien de fortuit, bien au contraire.

Dans un habile jeu d’anticipation, le romancier à succès Marc Dugain se glisse dans la tête du nouveau président de la République, startuper cocaïnomane élu avec le concours des géants mondiaux du numérique. „Tsunami“, c’est à la fois un roman de politique fiction efficace et la chronique inquiétante d’un temps d’incertitude et de changement qui ressemble diablement au nôtre.

„Je veux avoir un miroir dans lequel je puisse me regarder“, confie en ouverture le président à son journal, soucieux de débarrasser sa confession des mensonges inhérents aux exigences de sa charge. Car lui qui ne fait pas partie du sérail, ancien entrepreneur à succès dans le business du rajeunissement des cellules, a rapidement saisi que l’aptitude à la déformation de la vérité, disons plutôt son adaptation, fait partie des qualités indispensables pour ceux qui concourent aux plus hautes fonctions politiques. Mais, cela ne suffit pas.

Autant l’avouer tout de suite, comme le fait le président récemment élu mis en scène par Marc Dugain, pour tenir le coup et soutenir les champions des différents camps qui s’affrontent dans l’arène politique et doivent être à la fois capables de courir le marathon d’une campagne pour l’élection présidentielle, puis, s’ils ont gagné, de porter la charge surhumaine de la fonction, il est indispensable de „se faire aider“. „En politique“, écrit le président, „il n’y a pas de contrôle antidopage, probablement parce que l’on considère que le fait de se doper ne change pas fondamentalement les règles“. Et puisque „le président est le mâle alpha d’une meute qui le met à mort à la moindre faiblesse“, il vaut mieux ne pas trop se poser de questions. D’ailleurs, c’est la cocaïne qui, pendant la campagne, l’a aidé à dépasser ses états d’âme pour se muer en „homme de contact“ et créer un double, „brillant, percutant, jouissant d’une sorte d’évidence du pouvoir“, dont il est désormais psychologiquement dépendant. L’ouverture de „Tsunami“ se fait donc sur le premier problème majeur du mandat présidentiel : la rupture accidentelle de l’approvisionnement du président en poudre blanche.

C’est d’autant plus ennuyeux que le chef de l’Etat a décidé de frapper fort d’entrée, en lançant (comme d’autres avant lui) „sa“ grande réforme disruptive: imposer l’individu en fonction de son impact sur l’environnement, grâce aux capacités d’espionnage individualisé du numérique, et instiller de la démocratie directe en créant une Chambre virtuelle à la place du Sénat et de ses représentants du monde d’hier. Bref, de quoi mettre le feu au pays et faire descendre une bonne partie de la France dans la rue. Avec violences civiles et policières à la clé. Et dire que Marc Dugain a écrit son livre bien avant que ne se déroule la récente lutte à mort entre un président et un pays autour d’une banale réforme de la retraite … A sa manière de chronique d’une catastrophe annoncée, „Tsunami“ décrit donc aussi fidèlement le niveau de violence atteint dans la société française, que ce soit dans les rapports sociaux ou politiques, à l’Assemblée nationale comme dans les centres-villes du pays les jours de grève. La fiction aussi est un contre-pouvoir.

Le refus de la „réforme verte“ et les manifestations qui dégénèrent, l’alliance risquée avec les GAFAM et leur „dictature douce du numérique“, l’assassinat d’une députée par un homme ordinaire, un conflit dans les hôpitaux, l’élimination par les services secrets d’une ancienne djihadiste, la filière d’approvisionnement en cocaïne du président menacée par un coup du sort, l’évolution désastreuse de sa relation conjugale …, la vie du président est une sorte d’enfer. „En réalité“, constate-t-il, acceptant avec fatalité la pression des événements, „tout ce qui ne marche pas en France a vocation à échouer sur mon bureau“.

Avec brio et pas mal d’humour, Marc Dugain conduit son président – et son lecteur – vers un dénouement inattendu. „Tsunami“ porte bien son nom, celui d’un monde submergé, où la raison écope à grand peine le délire des réseaux sociaux, où l’illusion devient un mode de vie et le mensonge une médecine ordinaire. „Les forces considérant que la démocratie est une parenthèse de l’Histoire qui doit se refermer le plus vite possible sont en marche.“ Marc Dugain n’est pas le seul à nous mettre en garde.

Infos

Marc Dugain
„Tsunami“
Albin Michel, 2023
272 p., 21,90 €