ArtsLa carte postale: Une matière à penser

Arts / La carte postale: Une matière à penser
Valérie Mréjen, „La ligne arrondie“, 2023, Tirages pigmentaires rehaussés à la gouache, 42 x 61 cm, Courtesy de l’artiste et de la Galerie Anne-Sarah Bénichou ©ADAGP / Gregory Copitet Photo: Grégory Copitet

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La carte postale n’a pas fini de susciter l’intérêt des artistes. Comme une exposition à Namur et des livres passionnants en attestent.  

L’exposition „La carte postale, objet de collection, œuvre d’art“ qui se tient au Delta de Namur jusqu’à la fin de ce week-end est le reflet d’un intérêt soutenu et salutaire pour la carte postale, à l’heure du numérique. Cet intérêt rassemble aussi bien les curateurs, les artistes que les chercheurs. Une exposition de ce type, c’est pour une institution à vocation populaire comme Le Delta la possibilité de faire un pied de nez à l’heure des réseaux sociaux et des nouvelles envoyées en quelques signes. Mais c’est surtout aussi l’occasion de mettre en valeur les talents de créativité déployés par les artistes pour s’approprier, détourner et donner une seconde vie à un moyen de communication populaire.

Une menace, une alliée

La carte postale pourrait bien avoir accompagné dès ses premières heures la pratique artistique. C’est à l’inauguration de la tour Eiffel en 1889 qu’on date symboliquement – au moins dans une perspective française – les débuts de la carte postale illustrée. C’est alors le moyen le plus simple et meilleur marché de communiquer autant que de partager des impressions visuelles. Les cartes illustrées d’œuvres facilitent la connaissance de l’art à une époque où les déplacements ne sont pas si simples. Elle fait vivre les artistes. „Le facteur Cheval aurait-il créé son Palais idéal sans ses tournées de distribution des premières cartes postales, amenant au monde rural la Ville et les autres continents?“, ose la curatrice de l’exposition, Virginie Devillez.

La circulation des cartes postales a aussi contribué un temps au confort matériel du peintre français Francis Picabia, avec lequel s’ouvre l’exposition. Parti en Suisse, le peintre vit de la peinture de cartes postales à la fin du XIXe siècle. Il choque ensuite les impressionnistes en peignant d’après elles plutôt qu’en extérieur. La présentation inédite d’une carte postale envoyée en 1908 à son ami et futur beau-frère, le peintre Challié, montre toutefois que l’idylle n’a pas duré longtemps. Désormais, Picabia considère la carte postale comme une concurrence fatale pour la peinture. Sur cette carte, il écrit au verso du paysage qui l’illustre „un beau petit tableau mais c’est une carte postale“. Il précède en cela de vingt ans Magritte et son „Ceci n’est pas une pipe“. Sa signature en bas de la photo au recto fait, quant à elle, songer aux futurs readymades de Duchamp. Par la suite, Picabia se tournera vers l’art abstrait, et reviendra régulièrement aux cartes postales, notamment dans les années 20, avec sa série des Monstres, inspirées de cartes populaires et de la posture stéréotypée de couples. 

Motif d’exploration

L’artiste bruxellois Oriol Vilanova fait aujourd’hui le chemin inverse à celui de Picabia: il part de la carte postale pour retourner à la peinture. Dans l’œuvre qu’il a composée pour l’exposition namuroise, l’artiste, qui fréquente tous les jours le marché aux puces, a agencé 1.300 cartes par couleur (rouge ou noir). Les œuvres d’art qui les illustrent perdent leur sens pour laisser la place à un tableau abstrait. Entre Picabia et Vilanova, il y a eu notamment les années 70, marquées plutôt par une révolte contre un moyen de communication de masse et industrialisé et par la création d’anti-cartes postales, comme le relève le dernier livre de référence sur l’usage de la carte postale dans l’art, des historiennes de l’art, Magali Nachtergael et Anne Reverseau („Un monde en cartes postales“).

A partir des années 80, la carte fut perçue autrement, moins idéologiquement. „L’artiste se fait explorateur, urbaniste, architecte. L’usage de la carte postale peut dès lors s’inscrire dans ce mouvement ouvrant une fenêtre sur un espace culturel ou urbain, construit et structuré sociologiquement, permettant d’exposer l’internationalisation de notre société“, note la médiatrice du Delta, Marie-Aude Rosman dans le catalogue de l’exposition. Il peut servir pour dénoncer les pouvoirs véhiculés par l’architecture ou trouver un usage nouveau dans un contexte de la désesthétisation de l’art. 

Un support pour l’imaginaire

Virginie Devillez note que „de par sa nature, la carte postale suscite aussi des velléités de collection et de classement qui mettent en exergue sa catégorisation du monde et de la société via un condensé d’archétypes – folklore, exotisme, femme, paysage, art, tourisme ….- autant de clichés constituant un axe de réflexion majeur pour les artistes“. 

Ce sont plutôt les mots „pigeon, pics, monts, volcans et moniteurs de ski“ qui forment les premières entrées du catalogue-album que l’artiste française Valérie Mréjen constitue. C’était une nouvelle déclinaison d’un recours aux cartes postales situé au cœur de sa pratique artistique depuis plus d’un quart de siècle. Cela a commencé en 1997, avec „Meilleur souvenir“, un petit livre composé de onze cartes représentant des paysages et lieux de vacances. Au verso, il y avait des messages réalisés, à la manière de cut-up, avec noms d’abonnés au téléphone découpés dans l’annuaire. Par la suite, elle a souvent développé des fictions illustrées par des cartes postales, manière pour elle d’exploiter „la cristallisation de la mémoire collective autour de l’imaginaire touristique, par le partage de l’esthétique des expériences et des aspirations des individus“. 

Quand elle part à la recherche de cartes postales, Valérie Mréjen est attirée par l’imperfection, la désuétude, l’impersonnalité des images qui retiennent son attention. Elle en fait la base de narrations déployées dans des expositions, livres, films et installations. Une manière de travailler cette matière première est de chercher des liens, de faire des rapprochements ou d’identifier des doubles avec de légères différences, selon la place de l’appareil photo, l’instant de la prise de vue, la météo. Elle rehausse les différences de couleurs. C’est notamment ce qu’elle a fait avec „La ligne arrondie“, visible dans l’exposition de Namur. „Lorsqu’on dispose de deux images presque sœurs l’une à côté de l’autre, arrive quelque chose d’un début d’enquête. Derrière le jeu des différences émerge le spectre d’une destinée: cela aurait pu se passer comme ça, être comme ça ou bien comme ça“, écrivait-elle à son sujet à l’occasion de l’exposition „Je collectionne des cartes postales“ à la galerie Anne Bénichou à Paris l’an dernier. 

A la fois romancière et plasticienne, Valérie Mréjen était aussi bien placée pour être l’artiste la plus soucieuse d’exploiter les messages écrits au verso des cartes postales souvent délaissés au profit de l’image. Dans „Amnésie parfaite“ (2019) présente à Namur, elle met en voix un récit imaginé à partir des conversations des cartes postales, qu’on écoute tandis que défile lentement une succession d’images d’illustration. Ou comment sourire en prononçant des mots destinés à rester muets à tout jamais.

A retenir

Une exposition au Delta à Namur. Jusqu’au 18 août à 18.00 h.
Un catalogue: „La carte postale, objet de collection, œuvre d’art“ (Editions Le Delta, 2024)
Un livre: „Un monde en cartes postales“ de Magali Nachtergael et Anne Reverseau (édtions Le mot et le reste / 2022)
Une artiste: Valérie Mréjen (Catalogue monographique publié aux éditions Manuella en 2021)