Cinéma„Les fantômes“ des criminels de guerre syriens

Cinéma / „Les fantômes“ des criminels de guerre syriens
Adam Bessa (Hamid à l’écran): „C’est un film sur le traumatisme de guerre, sur la perte des siens, sur le deuil, sur la reconstruction“ Photo: Films Grand Huit/Kris Dewiitte

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Dans le nouveau film de Jonathan Millet, Hamid, membre d’une cellule secrète, tente de retrouver son tortionnaire à Strasbourg. Rencontre avec le comédien Adam Bessa qui incarne ce personnage à l’écran.

Détenu politique syrien torturé par le régime de Bachar al-Assad, Hamid (Adam Bessa) est expulsé de la prison de Saidnaya, non loin de Damas. On le voit s’éloigner, abattu mais déterminé avec d’autres prisonniers. On le retrouve dans les rues de Strasbourg. Climat oppressant, lumière crépusculaire, sons sourds … Le spectateur est plongé dans une atmosphère lourde, suivant pas après pas l’errance d’Hamid cherchant à se réinsérer dans la vie strasbourgeoise. Mais l’ancien prisonnier se concentre sur une mission autrement plus importante: retrouver son tortionnaire.

Dans son premier long métrage de fiction, Jonathan Millet, nourri d’une dizaine de documentaires, raconte l’histoire d’une cellule secrète qui traque les criminels de guerre syriens cachés en Europe. Hamid, membre du groupe, présume que son bourreau „le Chimiste“ a refait sa vie dans un camp d’exilés syriens à Strasbourg. La quête est hasardeuse. Le bourreau, sans visage. Une paranoïa de tous les instants s’installe. Remarqué dans la série „Ourika“ de Marcela Said et Julien Despaux, dans les films „Harka“ de Lotfy Nathan et „La source“ de Meryam Joobeur, (présenté à la Berlinale 2024 et prochainement en salles), l’acteur franco-tunisien de 32 ans, Adam Bessa est la révélation des „Fantômes“, récit d’espionnage inédit, fascinant, très documenté et d’une brûlante actualité géopolitique. Rencontre.

Tageblatt: A partir de quand avez-vous décidé d’accepter le rôle?

Adam Bessa: Lors de notre première rencontre, Jonathan et moi avons parlé pendant plus de trois heures. La lecture du scénario a été déterminante. J’ai accepté ce rôle car il est complexe et d’une grande responsabilité. Ce type d’individu que j’incarne porte un poids énorme sur ses épaules dont on sent la charge traumatique et la douleur à tout moment. J’étais un petit peu au courant des exilés syriens, mais je ne connaissais pas cette thématique en particulier parce que ces cellules sont quand même extrêmement secrètes. Elles ont été révélées dans la presse, mais d’une manière assez confidentielle. Donc j’ai découvert cette histoire grâce à Jonathan (Millet) et j’ai plongé dedans. Ce rôle est peut-être une des performances les plus difficiles que j’ai dû faire depuis le début de ma carrière.

Ce rôle est peut-être une des performances les plus difficiles que j’ai dû faire depuis le début de ma carrière

Comment vous êtes-vous approprié le personnage d’Hamid?

Jonathan avait une idée assez précise de ce qu’il voulait faire. En fait, Hamid oscille entre la pulsion et la raison. Entre la vengeance et la justice. Pour créer cette tension retenue, Jonathan et moi avons travaillé en immersion totale dans le réel. On a travaillé la gestuelle: comment se tenir, ouvrir une porte quand on a vécu la prison, le rapport à la lumière au son, au toucher … Ce qu’on appelle plus communément la méthode de l’acteur studio, une conception du métier d’acteur que j’admire beaucoup. Je me suis complètement investi dans le personnage, jour et nuit. Hamid m’a terriblement fatigué. Ceci dit, il y a eu quand même trois, quatre mois de préparation avant le tournage. Jonathan voulait trouver en moi ce qu’il cherchait: une incarnation très forte du personnage au quotidien, à partir de pas grand-chose, au cœur de ses doutes. „Les fantômes“ est un film sur le traumatisme de guerre, sur la perte des siens, sur le deuil, sur la reconstruction. Après, je suis parti dans d’autres zones, j’ai regardé des documentaires sur les prisons syriennes et sur les traumatisés de guerre. Il y a des choses qui ne s’inventent pas.

Hamid n’a qu’un seul objectif: se venger …

L’idée de se venger est une question légitime et très intéressante qu’il faut se poser aujourd’hui quand la justice ne peut pas rendre la justice à tout le monde et partout. La vengeance est peut-être la question la plus universelle et la plus cinématographique du film. En fait, Hamid est devant un dilemme: soit se venger tout seul et appliquer la loi du Talion, soit tenter d’obtenir un procès.

Avez-vous rencontré des exilés syriens?

Non. Par contre, j’ai travaillé sur leurs témoignages. J’avais toute la matière nécessaire. Ce qui émerge toujours, c’est la paranoïa. Quand on sort d’un régime totalitaire, on est déjà habitué à cette angoisse d’être écouté, épié, en permanence. Hamid transporte avec lui un trauma, un trouble psychologique avec, entre autres, des anxiétés, des douleurs fantômes, des crises de panique, des crises d’angoisse, des délires paranoïaques. Le trauma fait partie de son bagage psychologique. Evidemment, quand on est en mission de retrouver son tortionnaire, la sensation est exacerbée. La paranoïa est profonde, permanente.

L’exil fait partie de notre vie en tant qu’Arabes d’Europe, que ce soit la nôtre ou celle de nos parents. En tout cas, on l’a vécu à travers eux. L’exil est notre histoire. Donc, ce n’est pas un sujet qui m’est étranger.

Vous êtes né en France, fils de parents en exil.

L’exil fait partie de notre vie en tant qu’Arabes d’Europe, que ce soit la nôtre ou celle de nos parents. En tout cas, on l’a vécu à travers eux. L’exil est notre histoire. Donc, ce n’est pas un sujet qui m’est étranger. Mais bien évidemment que, dans l’histoire contemporaine, aujourd’hui, l’exil syrien ou palestinien, peut-être, doit être un des plus violents qui existent.

„Les fantômes“ de Jonathan Millet. Avec: Adam Bessa, Tawfeek Barhom, Julia Franz Richter. En salles depuis hier.