Artistes entre Luxembourg et BerlinLuc Feit, force ludique et tranquille

Artistes entre Luxembourg et Berlin / Luc Feit, force ludique et tranquille
Luc Feit et sa patrie d’adoption – Berlin Photo: Amélie Vrla

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Habitué de la série policière „Tatort“, interprète du personnage de Ullrich dans „Babylon Berlin“, Luc Feit a interprété près de 130 rôles au cinéma, auxquels s’ajoutent ses nombreuses prestations théâtrales. Véritable ambassadeur du Luxembourg dans le paysage audiovisuel allemand, le comédien habite Berlin, où il est arrivé juste après la chute du Mur.

Attablé en terrasse d’un café de sa rue, dans le quartier de Prenzlauer Berg, Luc Feit allume une cigarette. „Sinon on ne me reconnaît pas“, plaisante-t-il. L’acteur vient de rentrer du Luxembourg, où il était en répétition pour „Traumnovelle“ d’Arthur Schnitzler, qui sera mis en scène par Frank Hoffmann au TNL. De retour à Berlin, Feit retrouve ses habitudes: „Soit je suis dans mon lit, soit à cette terrasse.“ Après avoir habité à Stuttgart, Osnabrück, Ingolstadt, Saarbrücken et Cologne, le comédien pose ses bagages en 1991 dans la capitale, „la plus passionnante des villes allemandes“. „Je ne suis pas quelqu’un qui se rend à toutes les premières pour se faire un réseau ou quoi, mais la ville m’inspire et j’aime la vie de quartier de Berlin. Je viens tous les jours à ce café, ce qui fait que je connais beaucoup de gens dans cette rue. Mais j’ai tout de même l’impression d’être très libre, de pouvoir faire ce que je veux.“

À la recherche de l’authenticité

En plus de son métier de comédien de théâtre et acteur de cinéma, Luc Feit a plusieurs courts ainsi qu’un long-métrage à son actif: „De Buttek“, paru en 2019. Pour tourner ce film, Feit a réuni quatorze actrices et acteurs luxembourgeois de son choix, et beaucoup travaillé en improvisation. „J’ai eu la grande chance que Bernard Michaux, mon producteur, me permette de choisir avec qui travailler. J’avais une histoire et une direction en tête, tout n’était pas improvisé, mais ce qui était passionnant pour moi, c’était le fait que mes comédiens me surprennent constamment. Je pouvais être observateur, les laisser très libres, sans diriger leurs moindres gestes et actions. Et ensuite, au montage, la mission était d’identifier et de sélectionner les moments authentiques. C’est cela qui me fascine: quand les acteurs sont authentiques. Mais le plus souvent, ce n’est pas le cas, au cinéma. Et au Luxembourg s’ajoute le fait que la langue luxembourgeoise est parlée de manière différente par chacun. Très souvent, dans les films luxembourgeois, on parle faux. Ce ne sont pas les vraies formules, les vraies expressions, le vrai ton.“

Avec „De Buttek“, Luc Feit réalise avant tout une forme d’expérience, un laboratoire de recherche de véracité – aussi bien dans le jeu que dans l’utilisation et l’emploi de sa langue maternelle. „Je sais jouer, j’ai appris à jouer, et j’ai de l’expérience en tant qu’acteur, alors que je ne suis pas réalisateur. Mais cela m’intéresse beaucoup. Et pouvoir exprimer sa propre fantaisie et son propre univers, c’est un vrai plaisir. Je pense que mon expérience en tant qu’acteur me procure une certaine connaissance, mais d’autres personnes qui ont appris le métier sont évidemment mille fois meilleures que moi. Et puis, l’un des avantages d’être comédien, c’est de ne pas avoir à porter la responsabilité du tout!“, rit-il. „Après les 14 jours de tournage pour „De Buttek“, j’étais épuisé. J’avais à peine dormi pendant deux semaines. Mais l’expérience m’a quand même beaucoup plu.“

L’art de la tension détendue

Selon Luc Feit, le fait d’être contraint par les problèmes techniques sur un plateau, de devoir parfois attendre plusieurs heures avant de retourner au travail de mise en scène ou de jeu, „fait partie du métier“. „Il faut pouvoir être dans un état de tension détendue“, sourit-il. „Prêt à bondir, mais calme. Je me souviens, au début de ma carrière, lorsque j’étais en tournage, je me réveillais beaucoup trop tôt, j’étais super nerveux en arrivant sur le plateau, j’étais remonté à bloc, et finalement, on ne me demandait pas de jouer avant 18h le soir, et à ce moment-là, il n’y avait plus personne, j’étais HS. Mais si on a un endroit où se retirer, une pièce à soi, ça va. En revanche, si on doit patienter des heures durant dans une sorte de salle d’attente ou sur un banc, il est presque impossible de rester détendu.“

Parmi la myriade de personnages qu’il a interprété à l’écran et sur les planches, l’adaptation du „Lenz“ de Georg Büchner, mise en scène par Frank Feitler, a été l’un des travaux les plus importants à ses yeux. „Pour moi, Büchner fait partie des trois auteurs majeurs de la langue allemande. Et Feitler m’accompagnait depuis le début. À l’écran, j’ai également adoré tourner dans la série ‚Edel und Starck’. Ça a duré cinq ans, et c’était très agréable de connaître mon personnage en profondeur, tout comme les personnes qui travaillaient sur la série. Et puis les scénarios étaient tellement bons! Même quand je n’avais qu’un jour de tournage sur un épisode, je lisais les scénarios en entier, car ils étaient tellement drôles.“

Accueillir le risque

Pour Luc Feit, le risque est inhérent au métier de comédien. On ne peut jamais savoir si l’œuvre fonctionnera, ni comment le public la percevra – notamment d’un point de vue politique. En ce sens, l’un des personnages qui a constitué l’un des plus grands défis pour Feit était son rôle dans „Jakobs Ross“, de Katalin Gödrös. Dans cette coproduction suisso-luxembourgeoise, qui, après avoir été présentée au Luxfilmfest et Filmfest München, sera au programme spécial „Panorama Suisse“ du Festival de Locarno, Feit interprète un prédateur sexuel. „Qu’il soit ‘bon’ ou ‘mauvais’, j’ai besoin de comprendre pourquoi un personnage fait ce qu’il fait. Pour Jakobs Ross, j’ai discuté avec Katalin [Gödrös]. Mon personnage ne se lève pas le matin en se disant, ‘je suis quelqu’un de mauvais, raison pour laquelle je vais faire ceci ou cela.’ Il se voit comme un être humain, et se pense autorisé à faire ce qu’il fait. Ou, par exemple, dans ‚Babylon Berlin’, je me suis demandé pourquoi mon personnage avait tué tous ces gens. La réponse est: parce qu’il avait la conviction qu’ils devaient être tués. J’essaie toujours de rendre chaque personnage le plus authentique possible, au sens où je cherche toujours à les comprendre. Je ne les envisage pas comme des étrangers avec lesquels je n’ai rien en commun. Je cherche à trouver en moi ce qui me lie à eux. Je crois qu’il y a deux sortes d’acteurs, ceux qui travaillent d’arrache-pied, et les autres. Moi, je ne travaille pas d’arrache-pied“, rit-il. „Mais surtout, je cherche à trouver le personnage en moi et non par le biais d’une discipline de fer. Je fonctionne plutôt de manière intuitive. Et en observant. Je ne passe pas mon temps à cette terrasse simplement parce que j’aime boire“, sourit-il, „mais pour observer les gens et noter comment ils se comportent, pour tenter de comprendre la façon dont ils agissent. Sans les juger. C’est ce qui me passionne dans ce métier. Mais, et c’est peut-être parce que je vieillis, j’ai l’impression qu’on cherche davantage à présent à tout catégoriser de façon binaire: noir ou blanc, bon ou mal. Il n’y a plus de tolérance vis-à-vis de l’ambiguïté. Et c’est très dommage, car la vie en est composée. On ne devrait pas être aussi politiquement correct. Dans ce métier, il faut pouvoir jouer la personne antipathique.“

L’important, en tant que spectateur ou spectatrice, c’est qu’on sorte du théâtre ou du cinéma dans un état différent de celui dans lequel on y est entré. Sinon c’est une perte de temps. Il faut avoir vécu quelque chose durant les deux heures écoulées, et pouvoir y réfléchir ensuite.

Luc Feit, comédien

Ce qui compte est avant tout d’adhérer à l’intention du film et à la vision que l’œuvre cherche à transmettre. „In fine, l’important, en tant que spectateur ou spectatrice, c’est qu’on sorte du théâtre ou du cinéma dans un état différent de celui dans lequel on y est entré. Sinon c’est une perte de temps. Il faut avoir vécu quelque chose durant les deux heures écoulées, et pouvoir y réfléchir ensuite. On ne doit pas sortir d’un film sur un meurtrier en se disant ‚c’est super, de tuer des gens’, mais se demander ‚pourquoi tue-t-on? qu’est-ce qui fait qu’une personne bascule dans le crime, et en quoi cela pourrait-il m’arriver?’ C’est précisément en cela que les pièces de théâtre et les films sont essentiels: parce qu’ils nous offrent des expériences cathartiques, et qu’ils nous tendent également un miroir pour nous inviter à réfléchir à nous-mêmes, à interroger nos propres failles et parts d’obscurité, et ainsi pouvoir espérer évoluer en tant que société.“

Série

Cet article fait partie de la série „Artistes entre Luxembourg et Berlin“, dans laquelle notre correspondante Amélie Vrla présente des artistes luxembourgeois-es vivant à Berlin.