ExpérimentalL’univers et ses bruits selon Marta Zapparoli

Expérimental / L’univers et ses bruits selon Marta Zapparoli
Marta Zapparoli: „Mon travail est sentimental. Il est lié à l’imaginaire cosmique et à la spiritualité, tout en mélangeant la physique, la radioécologie, la radioastronomie et la science.“ Photo: Anke Phoebe

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En utilisant des instruments tels que des récepteurs radio ou des magnétophones à bandes, Marta Zapparoli capte et capture les sons du monde. A travers ses pièces audios et ses performances, elle les transcende. Même si ces sons possèdent des rythmes, des atmosphères, voire des mélodies, il s’agit là d’une musique autre, celle, pourrait-on dire, de l’imperceptible. L’artiste italienne est actuellement en résidence à la Kulturfabrik. Le 20 septembre, elle présentera sa nouvelle expérimentation. Interview.

Tageblatt: Vous définissez-vous comme musicienne?

Marta Zapparoli: Non. A l’âge de 15 ans, j’ai appris le saxophone soprano. Et j’en ai joué, plus tard, dans des groupes. Quand j’ai vécu à Bologne, j’ai fait de la noise. Cette expérience a été formatrice, tout en me faisant comprendre que je ne voulais pas jouer d’un instrument „physique“. Je me définis en tant qu’artiste sonore, performeuse et chercheuse indépendante. Disons que je ne suis pas une compositrice classique; j’ai des idées sur les bruits. Pendant mes performances, mi-improvisées, mi-préparées, j’utilise des antennes, des récepteurs radio ou des magnétophones à bandes.

Votre rapport à la musique et au son est avant tout visuel et organique?

Exactement. J’ai fait l’Académie des beaux-arts à Bologne, session sculpture. Et j’ai toujours été dans des écoles artistiques, mais pas sur la musique.

Ce qui signifie que avez appris à utiliser vos appareils ou, pourrait-on dire, vos instruments, de façon autodidacte?

Oui, j’ai appris seule, en expérimentant, sinon en demandant des conseils à des amis musiciens ou spécialisés dans la technologie. J’ai aussi fait des workshops pour apprendre à construire des instruments électroniques. Petit à petit, je me suis dirigée vers l’analogique. Au début, j’ai travaillé avec le field recording, en capturant les sons du monde extérieur, pour créer mes performances en live. Et, vu que j’ai fait du théâtre et de la danse, j’ai toujours eu une approche très physique avec les machines. Alors, en mettant ces sons sur cassette, j’ai pu, avec mes mains, modifier leur vitesse ou même faire du scratch. Après, je me suis concentrée sur les radiations électromagnétiques, parmi lesquelles les fréquences radio, de différents types. C’est ainsi que je transforme l’inaudible en des paysages sonores audibles.

Est-ce davantage la technologie qui imite la nature ou la nature qui imite la technologie?

La technologie imite la nature. Quoi qu’il en soit, la nature nous apprend tant. Les premières radios naturelles existaient bien avant que les humains soient sur Terre, donc les „fréquences radio“ aussi. La technologie ne fait pas qu’imiter: elle copie. Dans notre ère anthropocène, je m’intéresse à l’étude de la nature technologique, autrement dit les fréquences radio issues de la technologie et les fréquences radio naturelles, qui proviennent de l’atmosphère, soit de phénomènes tels que les aurores boréales, la lumière ou les orages. J’utilise ces deux réalités et je crée un dialogue, un échange et une conscience globale, jusqu’à la transmettre au public.

Qu’êtes-vous en train de préparer à la Kulturfabrik?

Il s’agit d’une recherche intensive sur le phénomène transcendantal des aurores boréales, à propos des ondes basses qui en émanent. Le projet part d’un enregistrement que j’avais fait en Norvège, il y a quelques années, et dont j’ai tiré une composition, que j’ai fusionnée dans une version technologique, échafaudée durant la performance de l’aurore. A la Kulturfabrik, j’en développe une partie; je travaille, de façon macroscopique, sur la création de voix de l’aurore, via des champs électromagnétiques. Je me concentre aussi sur la lumière, en utilisant les fréquences radio des couleurs de l’aurore, pour les transformer en sons audibles.

Tout est connecté – plantes, animaux, humains – à travers l’énergie

Il y a une grande part d’introspection dans votre travail, non?

Mon travail est sentimental. Il est lié à l’imaginaire cosmique et à la spiritualité, tout en mélangeant la physique, la radioécologie, la radioastronomie et la science. Cette fusion crée une connexion avec l’univers, et permet de mieux le comprendre.

La science s’arrête là où commence la spiritualité ou les deux peuvent être liées?

Les deux sont liés. Je ne parle pas de la spiritualité d’un point de vue religieux, mais énergétique. La spiritualité est énergétique. Nous sommes énergie, et ce qui nous entoure l’est aussi. Ça peut être de l’énergie électrique, créée par le monde technologique, ou l’énergie créée par les cellules de notre corps, les cellules souches d’où émanent, à basse fréquence, des champs électromagnétiques. Tout est connecté – plantes, animaux, humains – à travers l’énergie.

La pop regorge de groupes et artistes tournés vers l’espace, le cosmos, de Sun Ra à Tangerine Dream: vous écoutez ces musiciens?

J’écoute de tout. Des groupe comme Tangerine Dream se sont inspirés de l’espace, de la science-fiction, sauf qu’ils ont recréé de la musique avec des instruments électroniques. Moi, je capture des sons qui existent dans l’atmosphère et dans l’espace.

Faire entrer vos expérimentations dans un format pop, vous n’y avez jamais pensé?

Tout est possible, tout peut se faire dans la vie. Mais, pour le moment, ce n’est pas mon projet, ni mon état d’esprit.

Dans „Persone Silenziose“, Luca Carboni chante „Il silenzio fa rumore/E gli occhi hanno un amplificatore“ („Le silence fait du bruit/Et les yeux ont un amplificateur“). Qu’est-ce que vous en pensez?

C’est vrai: le silence n’existe pas. John Cage avait fait des expériences, dans la chambre anéchoïque, pour arriver au silence. Mais non, c’est devenu de la noise continue, avec les bruits internes de son corps, les sons du cœur, de l’estomac ou de la respiration. Alors oui, il peut y avoir des moments de tranquillité, avec les oiseaux qui chantent ou l’air qui bouge. Mais ce n’est pas du silence. Nous vivons dans un monde noise.

En tant qu’Italienne, la musique transalpine vous a-t-elle inspirée?

J’ai grandi avec les albums de Franco Battiato, mais aussi de Pink Floyd. En fait, très jeune, j’ai écouté des disques expérimentaux. Battiato brillait en tant que scientifique, poète, visionnaire … Et mon père (Giuseppe Zapparoli – N.d.A.) était guitariste, singer-songwriter, autodidacte lui aussi. Il m’a tant inspiré. Mais si la musique a été un stimulant, ce qui m’anime le plus, c’est le monde extérieur, celui dans lequel nous vivons.

Vous avez dédié „Sonata Per Eterna“ à votre père: est-ce que votre travail représente aussi un moyen de communiquer avec lui?

C’était un peu une façon d’exorciser la mort et, plus exactement, le fait de perdre une personne que j’aime pour toujours. C’était aussi un moyen de reconstituer une âme qui est partie, mais qui pourrait revenir en arrière. Il y a ce voyage dans l’espace que l’âme fait, lorsqu’elle sort du corps, sous forme de signal électrique. J’ai imaginé qu’elle traversait l’espace interstellaire, en passant par des planètes, des trous noirs, des ondes de plasma, jusqu’à un „terminus“, qui est peut-être aussi le début d’un autre vie, même si je ne crois pas en la réincarnation.