Rencontres d’ArlesMichel Medinger, photographe alchimiste

Rencontres d’Arles / Michel Medinger, photographe alchimiste
Les images spirituelles et ironiques de Michel Medinger conviennent irrévérencieusement bien à la Chapelle de la Charité d’Arles Photo: CNA/Armand Quetsch

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Sportif et alchimiste, trait d’union entre l’âge d’or néerlandais et le surréalisme, le photographe Michel Medinger est à l’honneur en France aux Rencontres photographiques d’Arles.

Pendant cinquante ans, Michel Medinger fut un visiteur régulier des Rencontres photographiques d’Arles. Il s’y est rendu d’abord avec ses filles, Isabelle et Véronique, puis avec ses amis. C’est dire si c’est un coup tordu de l’Histoire que, pour l’inauguration le 3 juillet de l’exposition hommage „Michel Medinger – L’ordre des choses“ qui lui est consacrée, il ait dû manquer à l’appel. L’état de santé de celui qui habite à l’hospice de Hamm ne lui permet plus d’entreprendre un tel voyage. Il ne lui a pas davantage permis de participer en amont à la scénographie. En 2022, Romain Urhausen avait mis la main à la pâte de l’exposition qui allait lui être consacrée dans la capitale mondiale de la photographie. Mais il était décédé avant son inauguration. 

Atelier parlant

Chaque année, pour la participation au grand rendez-vous mondial de la photo, les organisateurs choisissent soit de travailler avec un jeune artiste, comme Daniel Wagener en 2023, auquel on demande de faire des propositions en fonction de l’espace, soit de travailler avec des artistes classiques, pour une exposition à dimension davantage historique. Dans ce dernier cas, il faut faire preuve d’ingéniosité pour adapter le lieu à l’œuvre. Pour monter cette exposition, Lëtz Arles a lancé un appel à commissaires. C’est Sylvie Meunier, photographe et curatrice, installée dans le sud de la France, à Sète, qui a été retenue. Ce choix d’une experte de la photographie qui ne connaissait pas Michel Medinger, a permis de renouveler son regard sur les travaux de celui qui fut régulièrement exposé au Luxembourg.

Sylvie Meunier dit avoir compris réellement le travail du photographe né en 1941 à Neudorf, en entrant dans son atelier à Lorentzweiler. „Ses tiroirs sont remplis de vieux outils, squelettes d’oiseaux, fleurs fanées, crânes, bibelots ou encore de fruits et légumes anthropomorphes“, raconte-t-elle. Ces objets servent à composer des images, un processus qui peut durer jusqu’à des semaines, voire des mois. „Nous retrouvons beaucoup de figures présentes dans les vanités, tels que le crâne et les squelettes d’animaux, qui symbolisent la mort; les fleurs fanées et légumes desséchés qui sont des métaphores de la fragilité de la vie et du temps qui passe. Le motif de l’œil est une référence aux surréalistes“, constate Sylvie Meunier. Le directeur des Rencontres d’Arles, Christoph Wiesner, venu à l’automne 2022, après l’exposition consacrée à Romain Urhausen et ses 95.000 visiteurs, est tombé lui aussi sous le charme des lieux et du talent du photographe. „Son sens raffiné de la composition a croisé sa formation de scientifique et son goût pour l’expérience, développant une passion pour les techniques de tirage. Cette alchimie et ces dialogues ont donné naissance à une œuvre polymorphe obsessive, où l’absurde se mêle à l’ironie, à l’érotisme et la fantaisie“, dit-il.

„Monumental“

L’organisation de l’exposition arlésienne a nécessité un grand travail de recherche documentaire. Il a fallu ouvrir les boîtes d’archives et numériser. Sylvie Meunier a rencontré les amis photographes de l’ancien coureur de semi-fond, sa famille, les personnes ayant travaillé avec lui. C’est son „incroyable relation aux objets“ qui lui est restée. Sylvie Meunier a donc décidé de faire coexister et dialoguer des objets collectés avec des photographies dans lesquelles ces objets sont mis en scène. C’est à un „cabinet de curiosités monumental“ auquel a pensé Sylvie Meunier. „C’est aussi une proposition d’aller-retour. Michel construit comme un écrivain avec des mots. Les photos de Michel sont toujours à interpréter avec un message derrière“, précise-t-elle.

Romain Urhausen avait été exposé dans l’espace Van Gogh souvent utilisé à des fins de rétrospective. Cette fois, Michel Medinger a le droit à la Chapelle de la Charité, dans laquelle il faut composer avec une interdiction d’accrocher les œuvres au mur. Comme l’avait fait Daniel Wagener en 2023, il fut décidé de construire une structure qui masque le chœur de la chapelle et sur laquelle sont accrochées les œuvres.

La curatrice n’emploie pas le terme de rétrospective mais plutôt d’un axe retenu autour de sa collection d’objets. Un pan avec 14 photos iconiques de son travail qu’il a été amené à exposer souvent, ainsi que deux accrochages avec une proposition de cinq tirages sur les fleurs et 21 transferts polaroids couleur. Ces derniers rappellent que Michel Medinger, chimiste de formation, a développé tous ses tirages dans son laboratoire et a expérimenté de très nombreux procédés, du Cibachrome en passant par le transfert polaroïd ou encore le platinotype.

Comme une messe

Un livre, „Michel Medinger – Lord of things“ (éditions Palais Books), accompagne aussi l’exposition. L’écrivain Cyril Putman, jadis qualifié de premier punk de France, pose un regard lui aussi nouveau sur ce photographe dont il a apprécié l’esprit: „irrévérencieux un peu provocateur, il aime organiser d’étranges associations, drôles de rencontres formelles ou spirituelles qui ne laissent pas le regardeur dépourvu d’émotion“. Ses mots viendront alimenter un ouvrage cumulant les regards croisés de personnes qui connaissent son travail. L’historien de l’art et curateur Paul Di Felice, membre du jury et connaisseur du travail de Michel Medinger depuis les années 80, partage un regard de connaisseur en réinscrivant la démarche de Michel Medinger dans le courant de la „photographie plasticienne“, terme en vogue dans les années 80, et en nommant comme sources d’inspiration des photographes comme Edward Weston et Joel-Peter Witkin. 

Michel Medinger aime aussi jouer avec les représentations et l’iconographie religieuse. La Chapelle de la Charité va particulièrement bien au photographe qui comparait son art à une messe. „Ce que j’aime, c’est la lenteur de photographier avec la chambre. Regarder plus et perdre son temps. C’est comme la célébration d’une messe“, expliquait-il par le passé. On n’aurait su trouver meilleur écrin.

Michel Medinger, „Réflexion sur Darwin“, 2013, tirage argentique
Michel Medinger, „Réflexion sur Darwin“, 2013, tirage argentique Photo: Michel Medinger/AUTAAI, Collection du Centre national de l’audiovisuel (CNA)

À voir

À Arles, l’exposition „Michel Medinger – L’ordre des choses“ est accessible tous les jours de 10.00 à 19.30 heures, jusqu’au 29 septembre. En parallèle, des expositions lui sont consacrées au parc de Merl et devant l’hospice de Hamm, jusqu’au 7 octobre. L’exposition d’Arles reviendra en 2025 au CNA à Dudelange, tandis qu’une rétrospective sera organisée à la villa Vauban. À noter qu’une série limitée de timbres reprenant des photographies de Michel Medinger a été éditée en juin 2024.