ExpositionUne transe de la couleur: Les peintures de Claude Garache au Château de Ratilly

Exposition / Une transe de la couleur: Les peintures de Claude Garache au Château de Ratilly
Le Château de Ratilly situé dans le département de l’Yonne Photo: Illés Sarkantyu

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C’est au cœur de l’Yonne, au Château de Ratilly, centre d’art contemporain, que les œuvres de Claude Garache épousent le rythme secret de la nature, les vibrations de la pierre. Il s’agit ici d’un mariage heureux et subtil, d’une concordance des temps, dans ce qu’elle a d’essentiel.

Le Château par lui-même est miracle dans une vastitude de collines et de champs. Il s’érige en forteresse, et appelle de manière authentique. On le sait, la Bourgogne a été le fief de nombre de seigneuries et lieu de batailles, les châteaux étant la place forte où trouver refuge, depuis lesquels guerroyer. Le Château de Ratilly date du XIe siècle. Rasé au cours des guerres entre seigneurs, il reprend place, sur les anciennes fondations, vers 1270, sur l’initiative de Mathieu de Ratilly. Ce château, au fil des guerres, celle de Cent ans, les guerres de religion, devient refuge de pilleurs et place forte. En 1587, après un retour au calme, à l’avènement d’Henri IV, le château commence d’être restauré, grâce à Mary du Puy, seigneur d’Igny. En 1732, un conseiller au Parlement, Louis Carré de Montgeron, achète le château pour aider l’abbé Terrasson à propager ses idées jansénistes. Les deux personnages sont arrêtés et embastillés, le Château de Ratilly est revendu. Ce château a fait l’objet de ventes et reventes, pour arriver en 1912 dans le patrimoine de Juliette-Ernestine Benard, veuve à vingt ans de Charles-Joseph d’Alincourt. Celle-ci vivra dans un grand dénuement et lèguera le Château au chanoine Grossier, archéologue et professeur au collège de Sens. Ce dernier entreprend d’importantes réparations, fonde une école ménagère, mais, étant âgé, la tâche le dépasse. En 1951, il vend le château à Jeanne et Norbert Pierlot.

Jeanne est potière, et Norbert comédien. Ils s’installent à Ratilly et créent un atelier de poterie, suivi d’un centre d’animation culturelle de haute volée, premier Centre d’Art Contemporain privé. La famille Pierlot et sa descendance sont toujours aux commandes, dans une ligne culturelle d’une grande exigence, et dans un lieu des plus magiques. C’est dans ce cadre que des expositions majeures ont lieu. Celle de Claude Garache s’y inscrit avec une belle évidence.

Au plus profond de nous-mêmes

Dès la première salle, nous sommes saisis par la vibration qui émane des toiles. Des nus féminins, dans des rouges vibrants et des glacis de blanc qui empêchent l’œil de se fixer tout à fait, d’en dessiner les contours. Matière incandescente, chair vive, qui en appellent aux premiers signes, aux apparitions fulgurantes. Uniquement des nus, sans pour cela que le propos soit érotique. Nous sommes fascinés par un corps/âme qui irradie et nous enveloppe. Un surgissement de l’être, de la matrice, de la beauté, comme une source de vie à laquelle s’abreuver. Ces corps agissent de la même façon que des signes pariétaux, des empreintes, ils vont puiser au plus profond de nous-mêmes, nous revenons à l’essentiel. Volumes travaillés pendant des heures de pose, modèles dont on devine à peine les visages. Le rouge, dans ses variations subtiles, éclabousse l’espace, la tête, parfois en ombre plus foncée, parachève dans cette danse immobile un corps dans une position hors du quotidien. Nous en détaillons la surface, les plages lisses et celles en volume. Parfois une masse, un détail, un fragment de corps, occupent toute la toile. Les contours sont ceux du sfumato, rendant les corps insaisissables. Continuation à l’infini, hors de la toile, dans des élans cosmiques. Exister, ce mystère des origines. La lumière vibre autrement. Nous sommes happés.

 Photo: Martin Pierlot

Des danses chamaniques

De ces mouvements lointains qui donnent du temps un remous, une résonance, un mouvement imperceptible, une qualité de l’être. Espace entrouvert de la poésie, insaisissable, presque indicible. Qui en appelle au silence, à la contemplation. De ces percepts sans définition possible, qui forgent le grand art. Dans un silence qui bruit d’une vie sublimée. Chacun des corps joue sa partition inconnue à l’infini, une offrande, un dénuement, un abandon de soi. Densité et force s’allient à la légèreté, dans ces pôles opposés nécessaires à l’œuvre. Une échappée, un vertige. Les visages flottent, évanescents, pris entre deux rêves. C’est cet entre-deux qui est prodigieux, et qui fait de cette peinture une grâce, un moment de vérité. Il s’agit d’une puissance venue de la chair, cette chair en élévation, depuis laquelle tremble l’âme. L’énergie vitale anime ces toiles à jamais.

 Photo: Martin Pierlot
Le silence était obligatoire parce qu’on était très proches, l’un de l’autre. J’étais là, devant cette tache de peinture sur la moquette, et lui, juste à côté. Il posait sa toile contre une chaise. En vérité, on ne pouvait pas avoir une distance aussi courte et avoir des mots.

Anne McClung, un des modèles de Claude Garache

Claude Garache a su s’émanciper de l’académisme de la sculpture, de ses jeunes années, pour, accompagné de ses modèles, aborder le rivage de la nécessité et du questionnement. Des corps interrogés, scrutés, et qui peu à peu émergent de la toile, sous son geste mille fois recommencé. Corps ramassés dans des positions fœtales ou qui se déplient et dansent – parfois nous pensons aux danseuses balinaises de Rodin. Même si ici le modèle est plus dense, plus statutaire. Et l’on constate pour certaines toiles une ébauche de gestes en ombre furtive, des mouvements qui semblent dédoubler les silhouettes, dans des danses de l’invisible, un déploiement de l’être, une joie pure.

L’un des modèles de Claude Garache, Anne McCLung dit, lors d’un entretien, en janvier 2024, avec Marie du Bouchet et Amaury Nauroy: „Le silence était obligatoire parce qu’on était très proches, l’un de l’autre. J’étais là, devant cette tache de peinture sur la moquette, et lui, juste à côté. Il posait sa toile contre une chaise. En vérité, on ne pouvait pas avoir une distance aussi courte et avoir des mots.“ Cette proximité avec les corps, nous l’éprouvons comme un magnétisme animal. Une danse chamanique. Un exercice depuis la nuit des temps, celui d’être, dans la grâce d’un instant posé. Un moment pur.

Informations

Garache, Stabilité et mouvement
Château de Ratilly
89520 Treigny (Yonne)
www.chateauderatilly.fr